Allo chef … y’a un truc qu’a fait TOC !

Cet article pourrait s’intituler « de l’administration publique de 1940 au service public du XXIe siècle, 77 ans d’évolution » … comme Tintin ! Bein oui parce que je partais carrément sur un article scientifique et c’est vraiment pas le ton de mon blog 😉

Bref, je vais donc vous montrer comment l’administration de 1940 a évoluée … ou pas.
Voyez-vous en 1940, l’usager avait le droit de venir dans les locaux de l’administration pour remplir 25 pages de feuillets XF241A qu’il remettait ensuite à un type encostardé qui lui criait d’une voix nasillarde derrière un hygiaphone : « vous avez oublié de renseigné la case G8 en bas à gauche de la page 12. Reprenez votre papier et vous reviendrez la semaine prochaine ! »

Au XXI e siècle, le service public s’est enfin rendu compte qu’il fonctionnait avec l’argent du contribuable. Et que le contribuable était aussi le client auquel il fallait rendre service. Alors l’administration a effectué sa mue en service public. Et avec cette mue est arrivé la « posture de service » :
– je ne beugle plus dans l’hygiaphone, je parle normalement à la personne
– Je ne suis plus tout puissant, c’est le client qui a raison
– ce n’est plus l’administration qui dicte ses règles, c’est le besoin du client qui prime
– ce n’est plus l’administration qui impose ses contraintes aux usagers, c’est le service qui répond aux attentes des clients
– etc …
Mais tout ça c’est … pas pour la SNCF ! Car la SNCF n’a pas encore fait sa mue. Elle a bien saupoudré par ci par là quelques « trucs » numériques digitaux, histoire de faire comme tout le monde mais pour la « posture de service » … c’est encore 1940.

J’illustre mon propos car il faut toujours apporter des faits concrets pour argumenter ce qui pourrait s’apparenter à un jugement de valeur.

Nous sommes lundi 20 novembre 2017, il est aux environs de 18h00, j’arrive à la gare Haussmann Saint Lazare. le RER E en direction de Tournan en Brie partira dans 12 minutes, j’ai donc le temps devant moi pour rejoindre le quai 32. Je ne me presse pas.
En bas de l’escalator, je regarde vers le quai 32, le train est là, bondé, les portes grandes ouvertes. Un oeil à l’écran d’information : destination Tournan en Brie et le célèbre « Départ imminent » qui clignote. Oui le « départ imminent » est célèbre car c’est celui qui s’affiche quand … le décompte du temps a dépassé le 0 et que le train est toujours à quai. C’est un peu comme la fusée Ariane : 3 … 2 … 1 … 0 ……. j’ai dit 0 ….. hou hou c’est 0 …. et la fusée reste droite dans ses bottes, stoïque, bref c’est le « tout marche mal navette. »

Sur le RER E on a ça aussi. L’écran affiche le décompte du temps avant le départ et à 0, zou le convoi s’ébranle et le train s’en va. Alors quand le compteur arrive à 0 et que le train ne s’ébranle pas bein … le 0 clignote comme pour dire que « ça va pas tarder à le faire ». Et quand ça fait un petit moment que … « ça va pas tarder à le faire » bein ça passe à « départ imminent » … qui clignote lui aussi. Et là, généralement, ça sent pas bon.

Enfin bref, je comprends que c’est le train précédent qui n’est pas parti. Pour moi, c’est pas plus mal car je vais prendre celui-ci qui me fera gagner 10 bonnes minutes sous réserve … qu’il s’ébranle rapidement.

J’étais à 2 doigts de monter quand … une annonce sur le quai. C’est une annonce genre « j’ai l’hygiaphone en cornemuse ». Et visiblement, ce n’est pas une annonce générique genre « Des pickpockets sont susceptibles d’agir dans cette gare, faites attention à votre smart« … oui, parce que je viens d’apprendre que la smart est l’automobile la plus volée … ou encore « Pour changer de quai, veuillez utiliser les passerelles ou le passage sous-terrain ou la téléportation » ou même « En cas de constipation prolongée veuillez composer le 31 17 7″. Bref, vu la durée du message, ça à l’air d’être du sérieux. Mais, comme je le disais un peu plus avant, c’est incompréhensible. C’est d’ailleurs ce que je réponds à la dame, restée dans le train et qui me demande

La dame dans le train : « qu’est-ce qu’il dit ? »

Moi : « je ne sais pas … je ne comprends rien ! »

Et c’est à ce moment qu’il y a eu un mouvement de foule. Les 3/4 des voyageurs sont descendus de voiture. Du coup, je me suis demandé s’ils avaient, eux, compris l’annonce énigmatique ou bien s’ils agissaient par instinct vu qu’à chaque fois que le « départ imminent » clignote et qu’il y a une annonce énigmatique ça veut dire que le train partira pô et pis c’est tout.

J’en profite pour monter dans le train et trouver une place assise vu que la moitié des voyageurs vient de déserter comme je l’expliquais juste avant.

Et là … (alleluia) … le gong retenti et le train s’ébranle ! « Tournan en brie nous voilà !« . Je regarde par la fenêtre, le regard médusé des voyageurs descendus 3 secondes plus tôt. La SNCF aurait voulu vider le train qu’elle ne s’y serait pas prise autrement. Bref, notre train roule vers Magenta, à très petite vitesse pour bien faire la nique aux voyageurs restés à quai.

Magenta, jusqu’ici tout va bien. Tout d’abord l’annonce « Ce train est à destination de Tournan en Brie. Il desservira les gares de (glurp) Rosa Parks, Val de Fontenay puis toutes les gares de Villiers sur Marne à Tournan« . Oui, il y a un « saut de tonalité » pour l’annonce de « Rosa Parks » car la gare est nouvelle. Donc, plutôt que de refaire les enregistrements, Marcel a coupé les bandes son. Il a ajouté la voix de Monique (c’est sa belle soeur) qui dit « Rosa Parks » un samedi soir à la guinguette du bois fleuri après la soirée beaujolais-nouveau-rillettes. Et il a recollé le tout avec du vieux scotch transparent. Alors forcément quand ça passe dans le mange disque de la gare, ça s’entend un peu.

Après l’annonce, le gingle pour annoncer la fermeture des écoutilles. Et le train s’ébranle puis avance dans le tunnel.

Rosa Parks, jusqu’ici tout va bien. L’annonce, mais pas le fameux « Rosa Parks » de tata Monique vu qu’on y est … à Rosa Parks ! Le gingle et le train qui s’ébranle. Et c’est là, environ 3 secondes après le départ que l’on a fait un retour vers le futur genre 1940 … la compagnie des chemins de fer de l’Etat fait rouler des trains.

Vous sentez la posture ? Ce n’est pas, « le service public transporte des voyageurs », c’est « la compagnie fait rouler des trains ». En clair, l’objectif n’est pas de répondre au besoin de déplacement des voyageurs. Non, l’objectif c’est de faire rouler des locomotives et des ouagons.

Donc, 3 secondes après le départ de Rosa Parks, les micros crépitent, grésillent, crachent du gros son dans les ouagons. C’est une annonce du monsieur qui est au volant et qui nous dit en substance ceci : « On vient de m’informer que le trafic est interrompu sur la ligne 4. Notre train sera donc terminus Noisy le sec !« . Bon alors comment dire … déjà, il faut savoir que la ligne 4 c’est justement la nôtre ! Parce que sinon bein … on s’en tape, nous on est sur la ligne E ! Hein ? Dites … la SNCF … comment je peux savoir que la ligne 4 c’est la mienne ? Hein ? Ca serait pas du jargon interne à la SNCF, ça ? Pis vous pourriez pas utiliser le même que nous ? Hein ? genre parler de la ligne E quand on est sur la ligne … E !

Mais en plus, Noisy le sec … normalement … on s’y arrête pas. Alors, si vous n’êtes pas de la région parisienne, ce qui est tout à fait possible, je vous explique. Noisy le sec c’est un peu comme … Sain-Cyr-les-Colons ! Vous voyez où c’est … Sain-Cyr-les-Colons ? Non ? rassurez-vous c’est normal. Sain-Cyr-les-Colons c’est techniquement sur la ligne SNCF Paris Lyon. Mais jamais un train ne marque l’arrêt à Sain-Cyr-les-Colons parce que … y’a rien à Sain-Cyr-les-Colons. C’est comme si vous aviez pris des billets pour Montpellier, pour aller voir tata Monique, et que le chauffeur vous annonce que finalement, il va s’arrêter à Mourchoncourt  sur la Deûle ! Hein ? Quand même ! Mais surtout … que le monsieur vous annonce ça juste après avoir refermé les portes et commencé à rouler. En clair, il vous l’annonce quand vous êtes prisonnier du train et que vous ne pouvez plus descendre !

Oui … parce que si le monsieur nous avait annoncé, à Rosa Parks, qu’il y avait un problème et que le train allait s’arrêter à Noisy le sec, on aurait pu descendre à Rosa Parks et trouver une autre solution de transport. Parce qu’à Rosa Parks, il y a le tram T3b, les bus, les taxis, les vélib, les auto lib, etc … Bref, à Rosa Parks on a d’autres solutions pour avancer. A Noisy le sec … que dalle ! C’est le trou du cul de l’est parisien ravitaillé par les corbeaux une fois par mois et encore … les corbeaux … ils volent sur le dos pour ne pas voir la misère et surtout mon RER qui s’est arrêté alors que c’était pas prévu.

Vous comprenez mieux maintenant … la posture ? La SNCF ne se donne pas pour objectif de me rendre service en me transportant. Elle se donne pour objectif de faire rouler mon RER E. Et ce n’est pas la même chose. Si elle avait une posture de service, elle m’aurait annoncé à Rosa Parks qu’il y a un souci et que j’ai intérêt à descendre là et prendre une correspondance. Non, elle atteint son objectif de faire rouler le train … il est reparti et il roule … jusque Noisy le Sec.

Mais l’aventure n’est pas terminée. Arrivé à Noisy le Sec, à 18h30 c’est là que tout à basculé !

Image d’archive qui n’a rien à voir avec la situation vécue car il faisait nuit et le quai était bondé

Imaginez, un RER E double étage, blindé par les voyageurs montés à Magenta et Rosa Parks comme chaque jour en heure de pointe … ça fait du monde, non ? Vous voyez la grande braderie de Lille le samedi à 15h00 ? Ca fait du monde, non ? Genre … on est tellement collés les uns aux autres que plus personne n’avance. Bref, sur le quai de la gare de Noisy le sec, le 20 novembre 2017 à 18h30 c’était une foule compacte … à perte de vue … ou plutôt … à faire saliver Mélanchon et Martinez réunis qui aimeraient bien que leurs manifs soient aussi dense parce que leurs manifs elles ont toutes pourrieuuuu !

Bref, on était toutes et tous sur le quai … à se regarder … à se demander ce qu’il fallait faire. Mais surtout … tout le monde regardait… les haut-parleurs ! Oui, c’est dingue comme on est con dans ces moments là. On a pas besoin de regarder un haut-parleur pour l’entendre … et on regardait … et on attendait et … rien ! Pas un message, pas un bruit, pas une annonce … rien ! Sur le panneau d’affichage, un « Villiers sur Marne à l’approche voie F » clignote. J’entends une voix qui me demande :

La voix : « Y’a un Villiers qui arrive voie F. C’est où la voie F ? »

Moi : « C’est justement celle-ci » je montre la voie où est stationné notre train.

La voix : « Bein … comment y va faire ? »

Moi : « Y va monter dessus … ou peut être … passer en d’sous si c’est la femelle train … c’est comme ça qu’ils se reproduisent … les trains … »

La voix : « Boh … c’que vous êtes con vous alors ! »

Moi : « Oui … vaut mieux en rire »

Et là, subitement, tout d’un coup sans prévenir ni crier gare … oui j’essaie de mettre de la tension chez le lecteur … un klaxon hurleur frénétique … et un autre … encore un autre … oui, le train a sifflé 3 fois, j’ai bien compté 🙂 Et zouuu … un direct est passé tout berzingue le long de l’autre côté du quai ! Oui, rappelez-vous la SNCF fait rouler des trains. Alors même s’il y a plus de monde sur le quai que le quai ne peut en contenir et qu’il y a forcément plein de voyageurs au ras du quai … les trains directs continuent à passer tout berzingue.

Et toujours pas d’annonce… ha si, ça y est, mais ça vient de notre train pas des haut-parleurs du quai : « Ce train ne prend pas de voyageurs. Il est à destination des garages, je recapèpète depuis l’bédut … ce train ne prend pas  …« . Bein oui, nounouille, tu nous l’as déjà dit. C’est pour ça qu’on est tous descendus … s’agglutiner sur ce quai trop petit … banane. Les lumières dans le train s’éteignent pour bien faire comprendre que c’est maintenant le train fantôme et qu’il ne faut plus rien espérer de lui. Le gingle … les portes se referment … le train s’ébranle en nous laissant, médusés, sur notre quai de l’oubli.

Bon, tout espoir n’est pas encore perdu car le fameux « Villiers à l’approche voie F » clignote toujours et effectivement le voilà qui peut maintenant accoster sans devoir grimper sur l’autre train … ou passer en d’ssous c’est selon.

« Impec » me dis-je ! Après tout … je descends à Villiers. Je vais donc prendre cet omnibus. Ce sera un moindre mal après cette épopée nommée « Y’a un truc qu’a fait TOC« .

Le train accoste. Les portes s’ouvrent. Le chauffeur fait une annonce : « Je viens d’apprendre que notre train sera terminus Rosny sous bois« . Alors, comment dire … Rosny sous bois c’est la gare juste avant Val de Fontenay. Et Rosny sous bois c’est comme Noisy le sec mais … en pire ! Quand les corbeaux ont fini à Noisy le sec ils vont ensuite à Rosny, toujours sur le dos pour ne pas voir mais en plus … sans ravitaillement vu qu’ils ont tout laissé à Noisy … Ha oui, Val de Fontenay c’est une grosse gare avec plein de correspondances RER A, bus et tout le toutim. Donc, la posture, toujours la posture … la SNCF fait rouler son train avec les contraintes de la SNCF. Elle n’aurait pas l’idée de faire acheminer le train jusqu’à Val de Fontenay où les voyageurs trouveraient des correspondances et d’autres moyens de rentrer chez eux … non, non, non … elle arrête le train juste avant … dans un trou paumé !

Et à Noisy le sec, toujours pas d’annonce sur le quai, non, non, non … « demerden sie sich !« . La SNCF ne va quand même pas nous annoncer … qu’un train pour Paris est en approche voie A … hein ? … dés fois qu’on ai l’idée saugrenue de retourner sur Paris pour prendre d’autres solutions de transport … hein ?

Bref, je regarde l’écran d’affichage et je vois ce train pour Haussmann Saint Lazare à l’approche. Comme une bonne partie des voyageurs est finalement montée dans le Villiers qui terminera sa course à Rosny sous bois, le quai est moins bondé. Je peux enfin bouger. Visiblement je suis un des rares à envisager cette solution car tout le monde reste hébété sur le quai avec le secret espoir que la circulation va reprendre rapidement.

Moi, avec mon expérience maintenant décennale du RER E, j’applique le principe de précaution : « un train vaut mieux que 2 tu l’auras ». Après avoir emprunté la passerelle  sous-terrain, me voilà sur le quai A. Je monte dans le train et reviens sur Paris.

Bref, j’ai pris un Tram T3b, puis un métro ligne 9, puis un RER A, puis un bus 306 et 2h30 plus tard … j’étais chez moi.

Je pense que maintenant vous percevez mieux la notion de « posture de service ». Et pour illustrer un autre cas, voici une autre mésaventure sur une autre ligne. C’était le 18 octobre dernier. J’allais à Nanterre pour assurer une intervention à l’université. J’ai donc pris la ligne L de Haussmann Saint Lazare à Nanterre Université. Et bien figurez-vous qu’arrivé à Becon les Bruyères, oui, oui … ça ne s’invente pas … Becon les Bruyères disais-je … le train s’est arrêté et le chauffeur nous a demandé de descendre : « mesdames et messieurs, je viens d’apprendre que notre train serait terminus à Becon les Bruyères pour motif de régulation. Vous êtes donc invités à descendre de ce train.« . En clair, tu descends sur le quai, sans aucune autre information et tant pis pour toi ! La SNCF doit faire rouler des trains, elle n’a quand même pas vocation à transporter des voyageurs … ça se saurait. Et les contraintes de la SNCF sont prioritaires sur celles des voyageurs. Tu dois impérativement être à Nanterre à 9h00 parce qu’il y a tout un tas d’étudiants qui t’attend est moins important que de stopper un train à Bécon les Bruyères …

Bon, bref, pour terminer ce poignant suspense de cette épopée nommée « Y’a un truc qu’a fait TOC« , en arrivant chez moi, j’avais un mail d’alerte de la SNCF qui disait qu’un train avait percuté … un sanglier à Emerainville … « Allo chef … y’a un truc qu’a fait TOC ! »  Et que la circulation serait interrompue jusque 21h30 environ. Alors j’ai pensé aux zombies restés sur le quai en attendant un hypothétique train ou même seulement un p’tit message sonore de la SNCF parce que 3 heures sur le quai de l’oubli, le 20 novembre à la nuit tombée … ça donne envie 😉


Article parisien : rer-e-un-sanglier-ralentit-fortement-le-trafic

Le texte de cet article en audiodescription pour les personnes … qui veulent pô lire 😉

 

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