Ce matin, c’est vendredi alors je me prépare pour ma sortie hebdomadaire. Hé oui, depuis le début de ce confinement, je ne sors qu’une seule fois par semaine. J’ai toujours été intrépide, audacieux et optimiste mais là, j’avoue, face à ce truc invisible qui peut décimer un troupeau de gilets jaunes juste parce qu’ils sont en train de partager la merguez et la Kro en invectivant les automobilistes, donc en se postillonnant dessus en promiscuité sanitaire … je fouette un peu.
Bref, j’ai tout calculé, tout préparé, tout anticipé :
- smartphone : chargé !
- autorisation de sortie : renseignée pour 8h55 (oui, en fait, je vais sortir à 45 mais bon, je gratte 10 minutes au cas où) … oui je sais on en a plus besoin. Mais bon, moi j’ai pris mes habitudes maintenant.
- mains : lavées
- gel hydroalcoolique : avalé
- masque : positionné
- combinaison spandex intégrale : enfilée
- scaphandre : OK
- casque de scaphandre : vissé
- tuyau d’oxygène : alimenté
C’est bon, je peux sortir
Direction Carrefour City. Habituellement c’est 8 minutes de marche. Mais avec cet accoutrement, il me faudra facilement le double. D’autant que … les chaussures plombées … c’est lourd !
Bon, je vous passe le petit problème de tuyau à la place saint Christophe. Oui, parce que le scaphandre bon … il faut l’alimenter en oxygène. Alors il y a un tuyau qui le relie au générateur qui est resté chez moi. Du coup, quand j’ai voulu contourner la statue de la violoniste, paf le tuyau n’a pas voulu me suivre. Obligé de faire demi-tour, de passer par au-dessus … bref, j’y ai passé un bon 25 minutes !
Je descends la rue Lenoir et … tiens, c’est étrange il y a beaucoup moins de monde que pendant le confinement. C’est comme si pendant le confinement, les gens n’avaient pas le droit de sortir alors … bah ils sortaient. Et maintenant qu’ils ont le droit … bah, ils sortent plus. Mais oui au fait, maintenant que j’y pense, le type que je voyais chaque jour depuis mon balcon. Celui qui promenait son … chat, en laisse. Même que le chat ne semblait pas apprécier l’expérience lui qui avait l’habitude de se promener tout seul. Je ne le vois plus …
Bon, j’arrive enfin, au Carrefour City. La porte automatique s’ouvre, tout va bien. Je descends les 4 marches de l’entrée du magasin … oui, là j’avoue, je me demande ce qui est passé par la tête de l’architecte. L’entrée du magasin c’est environ 1,5 mètres de plat au niveau de la rue et 4 marches à descendre … pourquoi ? Pourquoi ne pas avoir mis le sol au même niveau ? Il aurait voulu faire un truc inaccessible aux personnes à mobilité réduite qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Bon, moi, ça va je suis agile … enfin, dans ce scaphandre un peu moins que d’habitude mais tout de même … et le papy de l’EHPAD du Vieux Colombier avec son déambulateur … hum ? Comment qu’y fait pour venir chercher sa bouteille de VILLAGEOISE … hum ? Il y a pensé à ça l’architecte ?
Bon, bref, je prends un petit panier vert fluo et je déambule dans le magasin.
- Tomates cerise, OK
- Mâche, OK
- Patates, OK
- Gésiers de volailles, OK
C’est bon, j’ai l’essentiel, je peux maintenant combler mon panier au PIF. Des cookies au chocolat, des yaourts, du fromage râpé (private joke), des poissons panés surgelés, des spaghettis Barilla N°5, une boîte de champignons de Paris émincés Carrefour … ha non, pas ceux-là, ils sont dégeux, pas de goûts, fade, berk … 2 frigo-pack de Coca zéro, des oeufs … ho ho calme ta joie, faut remonter tout ça à pied tout de même. Et maintenant t’es bon pour refaire le même trajet mais en sens inverse parce que … le tuyau il est tout entourné autour des rayons.
Après avoir méticuleusement fait le trajet en sens inverse et enroulé le tuyau autour de mon bras gauche, je me présente en caisse. Déjà 3 personnes attendent derrière leur marquage au sol. Je me dirige donc vers la 4ieme ligne de scotch, pardon … de ruban adhésif noir. Je pose tout mon barda et j’attends. D’autres clients, tous masqués, arrivent et se placent derrière moi à bonne distance. Une mamie, tout en poussant son panier à roulettes, s’approche de moi et me dit « fouch y fouchechoufou chou chou ?« . Je lui réponds donc bien gentiment que « oui, tout à fait, c’est ici la file d’attente aux caisses.« . Ce qui donne, de l’autre côté du masque « humpf fouchafai chaififi chafouchou fafouche chafenche ». Elle me contourne et va se positionner environ 250 mètres plus derrière le dernier client.
J’attends donc dans la file en respectant le marquage au sol même si je ne vois pas bien à cause du masque. En plus, je dois avoir un problème d’étanchéité car de la buée se forme sur la vitre. Il faudra que je répare cela au plus vite. Bref, j’étais en train d’attendre quand j’entends le type derrière moi dire à la mémé au panier à roulettes et au papy qui lui faisait du gringue :
- hé pis … le laboratoire en chine là-bas où s’qu’y mangent des pangolins sur le barbecue hein … bein c’est le mari d’Agnes Buzyn …
- Mais attendez, c’est pas tout, en Belgique … ma p’tite dame … ils ont des masques « made in France » alors que nous ont en a même pas souffle-t-il … derrière son masque ! C’est un copain à moi qui me l’a dit … il est Belge alors vous voyez !
- Bon, et pis, faut dire les choses … avant, on avait une guerre et ça régulait la population. Aujourd’hui il n’y a plus de guerre alors ils ont crée un virus et hop … ni vu, ni connu j’tembrouille … régulation de population que j’vous dis et pis c’est tout !
J’ai compté sur mes doigts, même s’ils étaient un peu engoncés dans les gants : un, deux, trois. Trois phrases et trois théories du complot en moins de 30 secondes … belle performance. Alors mon sang n’a fait qu’un tour, je n’ai pas pu m’empêcher. Je me suis retourné et je lui ai lancé « Hum alors là vous savez, quand on voit ce qu’on voit, et que l’on entend ce qu’on entend et bein … je vais vous dire moi mon brave monsieur … on a bien raison de penser ce qu’on pense … et pis c’est tout ! »
Bon, je rappelle à toutes fins utiles que le terme « complot » est un mot du dictionnaire. Il sert donc à décrire une réalité. Mais ce terme ne peut être employé que pour des situations avérées. Par exemple : tata Monique et moi, on a ourdi un complot pour trouver le cadeau d’anniversaire de tonton Bernard à son insu. Oui, ok, là on peut car c’est un complot avéré, étayé par des faits, prouvé, avoué bref … on a tout ce qu’il faut. Mais raconter que Bill Gates veut éliminer 15% de la population mondiale avec des vaccins empoisonnés sans apporter aucune preuve, ça s’appelle de la diffamation et c’est passible de tribunal. Pareil, raconter dans une file d’attente du carrefour City de Villiers sur Marne que les Belges ont des masques « Made in France » … parce que c’est mon copain belge qui le dit … c’est propager une thèse complotiste sans avoir le moindre début de commencement d’élément de preuve … et pis c’est tout !