#ALaManiereDuPetitPrince
Rappels des épisodes précédents :
Après avoir ramoné son volcan, le Petit Prince profite d’une migration d’oiseaux sauvages pour entreprendre son voyage. Avant d’atterrir sur la terre, il visite 7 planètes où il rencontre sept personnages : le roi, le vaniteux, le buveur, le businessman, l’allumeur de réverbères, le géographe respectivement.
Ce que l’on ne sait pas, en revanche, c’est qu’avant de croiser l’aviateur dans le désert, il a fait escale sur la planète six trois quarts.
Cette planète était habitée par un Général. Il était avachi dans un fauteuil, les bras derrière la tête, vociférant des mots incompréhensibles tout en mâchouillant hystériquement son chewing-gum anti-tabac.
Il était si vitupérant qu’il ne vit pas le Petit Prince. Profitant d’une reprise de respiration, celui-ci lui dit :
- Bonjour, vous avez mal ?
- Bonjour, je m’adresse affectueusement à mes soldats. Il faut toujours s’adresser à ses sbires avec bienveillance, dit-il d’une voie devenue presque un murmure. Tu es de quelle promotion mon jeune ami ?
- Promotion ? ça veut dire quoi promotion ?
- Le nom de ta promotion … moi, par exemple, c’est « Denis Diderot » … et toi, c’est qui ?
- Je n’ai pas de promotion, dit benoîtement le Petit Prince
- Alors pourquoi venir m’importuner dans mon bureau si vous n’êtes pas mon nouveau bras droit ?
Le Petit Prince qui ne comprenait décidément pas grand-chose à ce dialogue de sourds, se hasarda à poser cette question
- Vous n’avez plus de bras droit ?
- C’est cela, oui. Il a préféré rejoindre un autre homme avec un projet plus prometteur parait-il. Et tous les deux se sont mis en marche vers le sommet de cette montagne, là-bas dit-il en pointant son index.
- Ca sert à quoi … un bras droit ?
- A avoir des idées. Moi je n’ai pas d’idées. Et les idées, c’est indispensable pour faire une stratégie.
- Pourtant, vous avez plein de soldats. Ils n’ont pas d’idées ?
- Ils ne peuvent pas, ils n’ont pas fait de promotion.
- Mais alors, que font tous ces soldats ?
- Ils exécutent les ordres en suivant les procédures et sans jamais s’écarter des procédures
- C’est important de suivre des procédures ?
- C’est TRES important, c’est indispensable ! Si chaque soldat était libre de faire comme il l’entend, ce serait très vite le chaos
- Pourtant le soldat, c’est lui qui est au plus près de la situation à gérer. Il est donc le plus à même de choisir l’action à faire
- Tout à fait. C’est pour cela que maintenant, on lui fait confiance. C’est-à-dire que l’on parie sur la confiance que l’on peut avoir en lui pour bien suivre la procédure et ne pas s’en écarter.
- Mais parfois, il y a des choses que l’on ne peut pas mettre en procédure. Moi, par exemple, sur ma planète, j’ai une rose. Elle a des réactions que je ne comprends pas toujours. Je ne pourrais donc pas les anticiper. Elle est imprévisible. On ne peut pas mettre en procédure l’imprévisible.
- Bien sûr que si ! C’est ce qu’on apprend dans la promotion : tout peut se mettre en procédure. Même l’amour peut se mettre en procédure …
- Alors, dans ce cas, vous devriez avoir une procédure pour remplacer votre bras droit, rappela le petit prince qui jamais n’oubliait une question une fois qu’il l’avait posée.
- C’est pas faux ! Le général prit alors son mégaphone et hurla dedans « Mes subalternes, rappliquez ici et au pas de charge ! » puis il ajouta à l’attention du Petit Prince : « Un bon manager doit aussi savoir parler doucement à ses subalternes. C’est pour cela que mes soldats et mes subalternes m’apprécient »
Trois subalternes qui passaient par là se présentèrent alors devant le général. Debout devant lui, ils étaient livides et tremblants en attendant les ordres. Le général leur demanda de lui apporter la procédure de remplacement d’un bras droit. Les subalternes se regardèrent d’un œil interrogateur, puis après un long conciliabule, l’un d’eux prit la parole.
- Il n’existe pas de procédure de remplacement d’un bras droit
- Le général hurla alors en postillonnant à tout-va : « qu’est-ce que c’est que ce manquement ? Pourquoi n’y a-t-il pas de procédure de remplacement d’un bras droit de général ? Qui est responsable de l’écriture des procédures ? Hein ? »
La préposée à l’écriture des procédures s’avança et prit la parole immédiatement pour expliquer qu’elle allait tout de suite rédiger la procédure avec le préposé au pilotage des procédures et le préposé aux ordinateurs qui suivent les procédures.
Le général éructa que le préposé aux ordinateurs n’avait que des soldats paresseux et qu’il ne voulait plus travailler avec des soldats paresseux. Le général expliqua en hurlant qu’il fallait travailler avec des soldats start’upeurs, car ceux-là étaient des petits jeunes qui en voulaient. Ce n’était pas comme les soldats du préposé aux ordinateurs qui, une fois embauchés, devenaient des fonctionnaires qui ne voulaient plus rien faire.
Moins d’une minute plus tard, la préposée à l’écriture revint avec une feuille portant ladite procédure.
Comme son précédent bras droit avait fait la promotion « République » alors il devait prendre pour nouveau bras droit un subalterne de la promotion « Marie Curie ». Pourquoi la procédure avait-elle décidé cela ? Ca personne ne le saurait jamais …Aquarelle originale de moi-même façon Saint Exupéry
Le général n’était pas content, car le général n’est jamais content. Alors il cria très fort dans son mégaphone « Bull Shit, tout ça c’est des Bull Shit ! » et les subalternes profitèrent de l’instant où le général écrasa rageusement son chewing-gum anti-tabac dans un cendrier pour s’éclipser.
Le Petit Prince voulu aussi s’éclipser parce qu’il ne goûtait guère les sauts d’humeur du général. Mais celui-ci s’adressa au Petit Prince et lui demanda de s’approcher.
- Il faut toujours demander leur avis aux soldats de la base, dit-il au Petit Prince, tout doucement. Car ce sont eux qui savent le mieux ce qui est bon pour leur organisation. Regardez cette liste et dites-moi quel bras droit vous choisiriez !
- Le Petit Prince ne savait lequel choisir parce qu’il ne connaissait personne de la liste. Alors, il choisit celui affecté au Ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, car il pensait à sa rose. Il dit « celui-ci fera certainement un bon bras droit puisqu’il connait la nature »
- Le général répondit « Parfait, c’est un très bon choix, je retiens donc celui qui … hum … est inspecteur général des finances. C’est important de connaitre la finance et puis comme c’est le même corps d’origine que moi, c’est forcément une bonne référence. »
Ayant solutionné le problème de bras droit, le Petit Prince fut autorisé à retourner à ses occupations, non sans un dernier conseil du général : « Croyez-moi, vous devriez mettre en place un programme, recruter 26 personnes, et formaliser vos procédures – celle du volcan, celle des baobabs, des couchers de soleil, de la rose, du dessin du mouton, du renard … »
Le Petit Prince ne s’était pas retourné et avait continué à marcher puis à courir au fur et à mesure de l’énonciation du conseil du général paradoxal. Si bien qu’il n’entendit jamais la fin de la litanie d’un conseil qu’il percevait inutile …
Et le petit prince s’en fut, perplexe.
« Les grandes personnes sont décidément très très très bizarres », se disait-il en lui-même durant le voyage.